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>>Pourquoi Enjeux e-médias ne soutient pas la règle des 3-6-9-12

20 novembre 2013

Réfléchir à des règles simples donnant des repères, aux éducateurs et aux parents sur les modes de consommation médiatiques des enfants est utile et nécessaire. Cependant cette réflexion ne doit pas faire abstraction des repères déjà existants. La règle des 3-6-9-12 proposée par Serge Tisseron (1) ne peut préempter le débat sur le rôle de l’éducation aux médias et à l’information, à l’occasion de la refondation de l’école. Simpliste, elle pose de trop nombreux problèmes, notamment son absence de validation scientifique et son manque de soutien partagé par les communautés éducatives : associations de parents, enseignants et éducateurs.

La règle des 3-6-9-12 propose au grand public une solution simple pour accompagner les enfants dans les usages des écrans. Si elle rappelle aux parents la nécessité d’une attention à la maturité des enfants dans le choix approprié des médias, elle occulte plusieurs paramètres et de nombreux autres principes. De plus elle ne correspond pas aux différentes classifications officielles existantes. Elle propose un parcours harmonieux pour grandir avec le numérique dans un monde qui répondrait à des lois arithmétiques. Nous pouvons le regretter mais la réalité ne correspond pas à cette utopie !

 Avant trois ans : ni TV ni DVD ni Tablettes !

La règle a été posée par le CSA, conforté par un avis du ministère de la Santé en 2008.
Il est vrai que Serge Tisseron avait milité en ce sens, et il n’était pas le seul. De nombreux pédopsychiatres avaient proposé un moratoire et la saisine du CSA a été mise en œuvre par le Collectif CIEME dont Enjeux e-médias est partenaire. Le Ministère de la Santé avait alors réalisé des auditions, et l’ensemble des professionnels de la petite enfance rejoignait le point de vue selon lequel les images animées ne correspondent pas aux besoins de développement du petit enfant, qui doit être incité prioritairement à se mouvoir dans l’espace, à manipuler des objets et à qui il est crucial que les adultes parlent pour développer ses aptitudes langagières (Voir dossier).
Cette préconisation s’étend donc naturellement à l’ensemble des supports d’images animées, qu’il s’agisse de jeux vidéo, de DVD, de tablettes. Or Serge Tisseron a soutenu et co-signé le rapport de l’Académie des sciences (2013) qui favorise l’accès des enfants de 2 ans aux tablettes interactives (ce que de nombreux chercheurs ont critiqué – voir la tribune dans le monde.fr du 8 février 2013- et celle d’Enjeux e-médias sur le site « le plus » du nouvel observateur du 1er mars).

 Pas de jeux vidéo avant 6 ans : une règle discutable

Cette règle n’a rien d’évident. Les professionnels du jeu vidéo ont établi une autre classification que les parents connaissent et commencent à s’approprier : la classification PEGI, qui comporte 5 limites d’âge (3, 7, 12, 16, 18) et des motivations reflétant diverses préoccupations familiales et culturelles (violence physique, verbale, discrimination, peur, sexe, jeux d’argent, jeux en ligne).
La classification PEGI a l’inconvénient d’être négative : un jeu classé 3 ans n’est pas adapté pour les 3 ans, il est seulement exempt de contenus (violents, discriminatoires, …) qui justifieraient une classification plus haute. Mais elle a l’avantage d’être mise en œuvre par les opérateurs selon des procédures définies en commun qui permettent la contestation. Elle est bien repérée par les parents et devrait être davantage médiatisée.

A quel âge convient-il de jouer aux jeux vidéo ?

Certains psychologues ou psychiatres ont peut-être un avis tranché sur cette question, mais il nous semble plus important de laisser les parents en décider. Tout dépend en effet des jeux vidéo et des conditions d’utilisation de ces jeux. Certains jeux destinés aux 3-6 ans peuvent être de qualité. L’attention des parents doit être focalisée sur les durées de jeu et sur la possibilité de stopper la connexion à Internet, que facilitent malheureusement la plupart des consoles.

 Avant 8 ans : pas de télévision en dehors des programmes jeunesse

Jusqu’à 8 ans, les chaînes de télévision considèrent que seuls les programmes jeunesse sont adaptés aux enfants, il convient en revanche d’éviter les autres programmes (journal télévisé, en particulier, programmes classés 10 ou plus par les chaînes).
La classification du CSA, pour la télévision, propose un repère important à 10 ans, les programmes classés 10 comportent souvent des thématiques sexuelles ou violentes, et quelques scènes qui peuvent choquer les plus jeunes ou les désensibiliser précocement.
Avant 8 ans, les chaînes proposent des programmes télévisés mais sans toujours préciser les âges auxquels ils s’adressent. Les chaînes ont refusé une classification plus fine pour ne pas repousser une partie de leur public. Il appartient donc aux parents de vérifier quels sont les programmes les plus adaptés à leurs enfants.

 Quel âge pour l’accès à Internet ?

Il est très difficile d’offrir une réponse simple à cette question. L’école demande assez tôt aux enfants de faire des recherches sur Internet. Il n’est pas toujours possible aux parents d’être présents lors de ces navigations, même si cela est vivement conseillé. Il importe d’abord d’avoir installé un logiciel de contrôle parental, d’avoir configuré une session spécifique pour l’enfant en fonction de son âge. Ces démarches sont relativement simples mais les parents doivent aussi pouvoir y être aidés, notamment par leur fournisseur d’accès ou sur le site « Internetsanscrainte » financé par la Commission européenne.
Facebook demande à ses clients d’avoir plus de 13 ans, en application des lois californiennes sur la protection de l’enfance. Il faut encourager les parents à respecter cette règle même si d’un point de vue de citoyen, ils peuvent se demander pourquoi appliquer des règles américaines sur des espaces qui accueillent massivement un public français. Avoir une vie publique à 13 ans, en prenant soin de ne pas dévoiler des éléments de sa vie privée qui puisse nuire à son avenir, n’a rien d’évident. Il existe d’ailleurs des opérateurs nationaux (comme famicity.fr) qui ont un usage plus respectueux des droits fondamentaux et notamment du droit à l’image et aux données personnelles.
Plusieurs sites peuvent être consultés pour aider les parents à comprendre les risques de l’internet pour leurs enfants, et notamment celui de la CNIL, et de Internetsanscrainte.

 12, 16, 18 : des règles essentielles pour le cinéma, la télévision et les jeux vidéo

La règle -3-6-9-12 omet de rappeler aux parents qu’il convient de maintenir leur vigilance au-delà de 12 ans. En dehors des contenus haineux qui ne sont pas classés sur internet car les opérateurs ne sont toujours pas tenus de proposer une classification sur ce média, le cinéma, la télévision et les jeux vidéo posent des limites à 12, 16 et 18 ans. Le respect des ces frontières est essentiel, pour éviter la banalisation des contenus violents et crus. Le respect de la sensibilité et de la maturité des enfants ne s’arrête pas à 12 ans.
Les parents le savent (2) mais il est bon de les encourager et de les accompagner dans un univers numérique où bien des règles semblent bafouées. De nombreux outils sont à disposition pour les y aider et faire des enfants « médiavertis » sans se laisser piéger par des solutions-miracles qui ne laissent pas le temps au temps ou qui simplifient à outrance un univers dont la complexité est la richesse.
Enjeux e-médias souhaite élargir le débat et nourrir une réflexion complémentaire sur une question d’éducation qui est aussi une question de société, en s’appuyant sur les acquis de la régulation, de la recherche et de la pédagogie.

(1) Serge Tisseron 3-6-9-12 Apprivoiser les écrans et grandir, Erès 2013

(2) Voir notamment les résultats de l’enquête auprès de plus de 800 parents de préadolescents dans Parents, médias, qui éduque les préadolescents ? ERES 2011de Sophie Jehel.

Pour Enjeux e-médias,
Sophie Jehel, co-reponsable du comité scientifique,
MCF Université Paris 8- Laboratoire CEMTI
(Centre d’Études sur les Médias les Technologies et l’Internationalisation)


Contact : Christian Gautellier Président Enjeux-emédias
Email : christian.gautellier wanadoo.fr
Mobile : 0689861118



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