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>>Médias-public : relations sous tension

17 octobre 2014

Année après année, le baromètre TNS Sofres-La Croix (1) souligne la perte de confiance du public vis-à-vis des médias et des
journalistes. Après avoir mené une enquête rigoureuse(2) auprès de journalistes, d’associations, de sociologues des médias…, Bertrand
Verfaillie, journaliste indépendant, préconise, pour rétablir un climat de confiance durable, d’offrir aux publics de nouvelles garanties
en revenant notamment aux fondamentaux de la pratique journalistique et en créant un conseil de presse.

Propos recueillis par Christine Menzaghi, Secrétaire nationale de Enjeux e-médias, responsable de la mission Information et société, à la Ligue de l’Enseignement, pour les Idées en mouvement, auprès de Bertrand Verfaillie.

  • Concernant la relation des citoyens avec les médias et les
    journalistes, vous estimez que la « confiance saigne » ; expression utilisée dans le titre de votre enquête… C’est très violent, comment en arrivez-vous à un tel constat ?


    Bertrand Verfaillie : Le titre de l’ouvrage
    est un jeu de mots, un contrepoint à
    l’expression « la confiance règne ». Dire
    que « la confiance saigne », entre les médias,
    les journalistes et leurs publics, cela
    peut paraître brutal mais ce n’est pas très
    éloigné de la réalité. En 2012, le médiateur
    de France 2, exposé à des milliers de réactions
    de téléspectateurs, notait que le ton
    des messages se durcissait. En 2013, il a
    relevé encore plus d’agressivité. Le secteur
    de l’information et la profession de journaliste
    sont tombés très bas dans l’estime des
    Français. Les différentes enquêtes d’opinion
    les classent en avant-dernière position, juste
    devant les partis et les acteurs politiques.
    Quand autrefois j’ai exprimé mon intention
    d’être journaliste, j’étais regardé
    avec une certaine considération, parfois
    avec envie. Le métier jouissait d’un prestige
    certain, sans doute excessif. Aujourd’hui,
    on tapote gentiment sur l’épaule des jeunes
    qui font le même choix, on les plaint,
    quand on ne les vilipende pas ! Je déconseille
    aux professionnels à l’âme sensible la
    lecture des commentaires suivant la publication
    de leurs articles sur Internet…

  • Depuis quand cette méfiance est-elle à
    l’œuvre et quelles en sont ses
    manifestations ?


    Comme le rappelle le sociologue Jean-
    Marie Charon, que j’ai interrogé au cours
    de mon enquête, il n’y a jamais eu d’âge
    d’or de la confiance entre médias, journalistes
    et publics. Il faut se souvenir de la
    réputation, pas toujours volée, des journalistes
    au XIXe et au début du XXe siècle : des
    menteurs, des truqueurs, des intrigants.
    Mais enfin, pouvait-on se passer d’eux ? La
    relation prenait la forme d’un contrat tacite,
    fondé sur le besoin d’information. Sur des
    sujets inconnus, ou inaccessibles en distance,
    ou inabordables du fait de leur complexité,
    le public déléguait aux médias la
    mission de l’informer.
    Ce pacte a tenu jusqu’à la fin du siècle
    dernier, puis s’est fissuré et a fini par voler
    en éclats. Du fait des évolutions sociétales
    d’abord : les citoyens ont gagné en éducation,
    en culture générale ; ils sont potentiellement
    capables de se déplacer partout
    dans le monde et, s’ils ne le peuvent pas, ils
    embarquent sur le grand média global du
    web. La production et la diffusion de l’information,
    enfin, ne posent plus aucune
    difficulté technique. Une autre raison de la
    perte de confiance est à chercher du côté
    des médias eux-mêmes : enfermés dans
    leurs certitudes, ils ont laissé la relation se
    déliter sans réagir. Dans le même temps,
    l’information a perdu en rigueur, en qualité,
    en indépendance ; je dirais même : en valeur.
    À force, le phénomène a un impact sur
    l’audience et les résultats des médias, même
    si la crise très sévère qu’ils traversent aujourd’hui,
    notamment la presse écrite, ne
    peut se résumer à ce seul facteur.

  • Pouvons-nous sortir de cette situation et
    comment ?


    Rien n’est plus fragile que la confiance
    et rien n’est plus difficile à reconstituer. La
    société française, percluse de doutes et de
    craintes, semble remettre en cause tout ce
    qui incarne l’autorité, prise au sens du pouvoir
    ou de la compétence. Se sortir de cette
    situation dans le champ de l’information est
    aussi compliqué que de trouver un nouvel
    élan à notre système démocratique. Il faut
    souligner que les médias et les journalistes
    ne portent pas seuls la responsabilité de la
    rupture. Les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs
    et internautes se montrent souvent
    versatiles, contradictoires dans leurs exigences
    et de mauvaise foi. Bien des reproches
    sont basés sur le fait que le média
    ou le journaliste n’a pas écrit, montré ou dit
    ce que le destinataire voulait lire, voir ou
    entendre. Cela ne signifie pas forcément
    que l’information était de mauvaise qualité.
    Mais fondamentalement, le problème va
    au-delà du désaccord partisan. C’est la
    fonction d’informer qui est en cause ; il faut
    la refonder sur un nouveau pacte.

  • Sur quels terrains rétablir une confiance
    durable ?


    Le premier terrain est celui de la qualité
    de l’information : la profession, on le dit
    partout, doit revenir aux fondamentaux de
    la pratique journalistique : l’initiative, l’investigation,
    la pluralité des sources, la vérification
    des éléments, la pondération et la
    nuance, la hiérarchisation des faits, l’indépendance,
    la ténacité… La liste est longue
    et en l’énonçant, on voit bien tout ce qui fait
    défaut aujourd’hui. Des expériences éditoriales,
    notamment sur le web mais aussi
    portées par de nouveaux supports écrits,
    remettent ces principes au coeur de leur
    démarche. Si ces essais ne connaissent pas
    tous un succès économique, loin s’en faut,
    ils font honneur à la profession.
    Pour rétablir une confiance durable, il
    faut donner d’autres garanties aux publics :
    en établissant des réformes structurelles
    (indépendance des journaux, capitalisation
    des médias, réforme des aides à la presse…),
    nécessaires pour réhabiliter l’indépendance
    des médias face aux pouvoirs de l’argent et
    de la politique. En mettant également en
    place un conseil de presse chargé de la
    déontologie de la presse, comme il en existe
    dans beaucoup de pays, et qui associerait
    les éditeurs de médias, les journalistes et le
    grand public. Il aurait pour mission de repérer
    les manquements à la qualité de l’information,
    de réparer les torts causés et de
    protéger les journalistes de toutes pressions.
    Longtemps, les médias ont refusé de
    rendre des comptes à leurs publics, prétendant
    régler leurs problèmes déontologiques
    en interne. Cela ne peut plus durer : notre
    République a besoin d’une instance déontologique
    de l’information, comme il en
    existe dans de nombreux pays au monde.

  • Quelle part peuvent prendre les forces
    citoyennes dans cette entreprise ?


    Dans mon enquête, je suis allé à la rencontre
    des associations et organisations qui
    se préoccupent de la qualité de l’information
    en France. Deux ou trois organismes
    pratiquent une critique radicale des médias.
    Il y a des choses qui se passent tous
    les jours sur le terrain, dans le secteur de
    l’éducation populaire. Il y a bien sûr le collectif
    Enjeux e-médias qui rassemble de
    grandes associations. Il y a le travail accompli
    dans le domaine de l’éducation aux médias.
    Mais au regard de l’enjeu, les forces
    critiques et constructives ne paraissent pas
    assez développées. Une instance de type
    conseil de presse pourrait regonfler les troupes,
    dans tous les sens du terme. Je pense
    aussi que les pouvoirs publics pourraient
    encourager les prises de conscience et les
    passages à l’action sur cette question cruciale.
    Comment ? En faisant de la qualité de
    l’information une « grande cause nationale »
    pendant une année. Et, pourquoi pas, en
    créant une sorte d’institut de la consommation
    de l’information ?

1. Baromètre 2014, Français et médias : où en est la
confiance ?

2. Les Français, les médias et les journalistes, la
confiance saigne, éditions Alliance internationale de
journalistes, novembre 2013.



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