Année après année, le baromètre TNS Sofres-La Croix (1) souligne la perte de confiance du public vis-à-vis des médias et des
journalistes. Après avoir mené une enquête rigoureuse(2) auprès de journalistes, d’associations, de sociologues des médias…, Bertrand
Verfaillie, journaliste indépendant, préconise, pour rétablir un climat de confiance durable, d’offrir aux publics de nouvelles garanties
en revenant notamment aux fondamentaux de la pratique journalistique et en créant un conseil de presse.
Propos recueillis par Christine Menzaghi, Secrétaire nationale de Enjeux e-médias, responsable de la mission Information et société, à la Ligue de l’Enseignement, pour les Idées en mouvement, auprès de Bertrand Verfaillie.
- Concernant la relation des citoyens avec les médias et les
journalistes, vous estimez que la « confiance saigne » ; expression utilisée dans le titre de votre enquête… C’est très violent, comment en arrivez-vous à un tel constat ?
Bertrand Verfaillie : Le titre de l’ouvrage
est un jeu de mots, un contrepoint à
l’expression « la confiance règne ». Dire
que « la confiance saigne », entre les médias,
les journalistes et leurs publics, cela
peut paraître brutal mais ce n’est pas très
éloigné de la réalité. En 2012, le médiateur
de France 2, exposé à des milliers de réactions
de téléspectateurs, notait que le ton
des messages se durcissait. En 2013, il a
relevé encore plus d’agressivité. Le secteur
de l’information et la profession de journaliste
sont tombés très bas dans l’estime des
Français. Les différentes enquêtes d’opinion
les classent en avant-dernière position, juste
devant les partis et les acteurs politiques.
Quand autrefois j’ai exprimé mon intention
d’être journaliste, j’étais regardé
avec une certaine considération, parfois
avec envie. Le métier jouissait d’un prestige
certain, sans doute excessif. Aujourd’hui,
on tapote gentiment sur l’épaule des jeunes
qui font le même choix, on les plaint,
quand on ne les vilipende pas ! Je déconseille
aux professionnels à l’âme sensible la
lecture des commentaires suivant la publication
de leurs articles sur Internet…
- Depuis quand cette méfiance est-elle à
l’œuvre et quelles en sont ses
manifestations ?
Comme le rappelle le sociologue Jean-
Marie Charon, que j’ai interrogé au cours
de mon enquête, il n’y a jamais eu d’âge
d’or de la confiance entre médias, journalistes
et publics. Il faut se souvenir de la
réputation, pas toujours volée, des journalistes
au XIXe et au début du XXe siècle : des
menteurs, des truqueurs, des intrigants.
Mais enfin, pouvait-on se passer d’eux ? La
relation prenait la forme d’un contrat tacite,
fondé sur le besoin d’information. Sur des
sujets inconnus, ou inaccessibles en distance,
ou inabordables du fait de leur complexité,
le public déléguait aux médias la
mission de l’informer.
Ce pacte a tenu jusqu’à la fin du siècle
dernier, puis s’est fissuré et a fini par voler
en éclats. Du fait des évolutions sociétales
d’abord : les citoyens ont gagné en éducation,
en culture générale ; ils sont potentiellement
capables de se déplacer partout
dans le monde et, s’ils ne le peuvent pas, ils
embarquent sur le grand média global du
web. La production et la diffusion de l’information,
enfin, ne posent plus aucune
difficulté technique. Une autre raison de la
perte de confiance est à chercher du côté
des médias eux-mêmes : enfermés dans
leurs certitudes, ils ont laissé la relation se
déliter sans réagir. Dans le même temps,
l’information a perdu en rigueur, en qualité,
en indépendance ; je dirais même : en valeur.
À force, le phénomène a un impact sur
l’audience et les résultats des médias, même
si la crise très sévère qu’ils traversent aujourd’hui,
notamment la presse écrite, ne
peut se résumer à ce seul facteur.
- Pouvons-nous sortir de cette situation et
comment ?
Rien n’est plus fragile que la confiance
et rien n’est plus difficile à reconstituer. La
société française, percluse de doutes et de
craintes, semble remettre en cause tout ce
qui incarne l’autorité, prise au sens du pouvoir
ou de la compétence. Se sortir de cette
situation dans le champ de l’information est
aussi compliqué que de trouver un nouvel
élan à notre système démocratique. Il faut
souligner que les médias et les journalistes
ne portent pas seuls la responsabilité de la
rupture. Les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs
et internautes se montrent souvent
versatiles, contradictoires dans leurs exigences
et de mauvaise foi. Bien des reproches
sont basés sur le fait que le média
ou le journaliste n’a pas écrit, montré ou dit
ce que le destinataire voulait lire, voir ou
entendre. Cela ne signifie pas forcément
que l’information était de mauvaise qualité.
Mais fondamentalement, le problème va
au-delà du désaccord partisan. C’est la
fonction d’informer qui est en cause ; il faut
la refonder sur un nouveau pacte.
- Sur quels terrains rétablir une confiance
durable ?
Le premier terrain est celui de la qualité
de l’information : la profession, on le dit
partout, doit revenir aux fondamentaux de
la pratique journalistique : l’initiative, l’investigation,
la pluralité des sources, la vérification
des éléments, la pondération et la
nuance, la hiérarchisation des faits, l’indépendance,
la ténacité… La liste est longue
et en l’énonçant, on voit bien tout ce qui fait
défaut aujourd’hui. Des expériences éditoriales,
notamment sur le web mais aussi
portées par de nouveaux supports écrits,
remettent ces principes au coeur de leur
démarche. Si ces essais ne connaissent pas
tous un succès économique, loin s’en faut,
ils font honneur à la profession.
Pour rétablir une confiance durable, il
faut donner d’autres garanties aux publics :
en établissant des réformes structurelles
(indépendance des journaux, capitalisation
des médias, réforme des aides à la presse…),
nécessaires pour réhabiliter l’indépendance
des médias face aux pouvoirs de l’argent et
de la politique. En mettant également en
place un conseil de presse chargé de la
déontologie de la presse, comme il en existe
dans beaucoup de pays, et qui associerait
les éditeurs de médias, les journalistes et le
grand public. Il aurait pour mission de repérer
les manquements à la qualité de l’information,
de réparer les torts causés et de
protéger les journalistes de toutes pressions.
Longtemps, les médias ont refusé de
rendre des comptes à leurs publics, prétendant
régler leurs problèmes déontologiques
en interne. Cela ne peut plus durer : notre
République a besoin d’une instance déontologique
de l’information, comme il en
existe dans de nombreux pays au monde.
- Quelle part peuvent prendre les forces
citoyennes dans cette entreprise ?
Dans mon enquête, je suis allé à la rencontre
des associations et organisations qui
se préoccupent de la qualité de l’information
en France. Deux ou trois organismes
pratiquent une critique radicale des médias.
Il y a des choses qui se passent tous
les jours sur le terrain, dans le secteur de
l’éducation populaire. Il y a bien sûr le collectif
Enjeux e-médias qui rassemble de
grandes associations. Il y a le travail accompli
dans le domaine de l’éducation aux médias.
Mais au regard de l’enjeu, les forces
critiques et constructives ne paraissent pas
assez développées. Une instance de type
conseil de presse pourrait regonfler les troupes,
dans tous les sens du terme. Je pense
aussi que les pouvoirs publics pourraient
encourager les prises de conscience et les
passages à l’action sur cette question cruciale.
Comment ? En faisant de la qualité de
l’information une « grande cause nationale »
pendant une année. Et, pourquoi pas, en
créant une sorte d’institut de la consommation
de l’information ?
1. Baromètre 2014, Français et médias : où en est la
confiance ?
2. Les Français, les médias et les journalistes, la
confiance saigne, éditions Alliance internationale de
journalistes, novembre 2013.